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 Histoires nornes.

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Kenra

Kenra


Messages : 135
Date d'inscription : 20/08/2015

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MessageSujet: Histoires nornes.   Histoires nornes. EmptyDim 8 Mai - 0:16

C’était une soirée, morne et terne, qui s’apprêtait à céder sa place à un crépuscule orageux. Dans cet instant qui précédait l’obscurité, les épais nuages cendreux n’étaient que les prémices de ce qui s’annonçait. Bas, ils englobaient l’horizon, déchirant pics et sommets. Masquant les cols sous une véritable chape de plomb, les quelques lueurs qui osaient encore la traversée ne faisaient que teindre le sol neigeux, immaculé, d’un blanc laiteux. Çà et là, des lignes bleutées apparaissaient, falaises abruptes et arêtes aux crocs acérés, marquant la neige de ses roches immémoriales. Un vent cinglant chantait. Sauvage et terrible, comme les montagnes où il prenait sa source, il faisait trembler les arbres, d’une envoûtante musique, avant de prendre la fuite vers les hauteurs, là où rien ne savait pousser. Indomptable, il balayait les pentes désertiques de son souffle, tant et si bien que même le lointain grondement des glaciers restait silencieux à son écoute, le laissant seul maître des cimes, de ce paysage titanesque, invaincu, qui avait vu, sans défaillir, la chute de royaume et de dieux, la mort d’Esprit et de légende.

Il avançait au lent rythme de ses pas. Forme humanoïde solitaire, le colosse longeait l’orée forestière, se déplaçant parmi les derniers arbustes rachitiques qui s’offraient à lui. Si son pas était calme, sa démarche était celle, conquérante et majestueuse, des ancêtres de sa race. Il fut un temps où ils étaient prospères et craint, une époque où leurs magies, terrifiante, pouvaient faire trembler leurs ennemis. Tout cela était révolu depuis longtemps déjà. Si la trahison leur avait fait mettre genoux à terre, l’envie de puissance et le désir de gloire les avaient achevé. Éparpillés, leurs ancestrale magie oublié, peu étaient ceux, maintenant, qui avaient encore en mémoire la formidable civilisation qu’ils avaient été. Un ancien proverbe jotun prétendait qu’il n’en resterait que des pierres sur la neige. Disparaissant peu à peu des souvenirs, recouverte sous les blancheurs éternelles, il prenait maintenant des allures prophétiques, à moins d’un coup du destin improbable.

Si cette pensée traversa son esprit, il ne ralentit pas pour autant. le colosse avançait toujours, insensible au froid, malgré le simple pagne qui lui serrait la ceinture. Sa peau sombre, dur comme le cuir, était couverte de tatouages, d’anciens symboles de sa race, découverts sur un antique rocher de culte, à la taille hors normes. Son faciès, plat surmonté d’un crâne dégarni, laissaient apparaître une rangée de dents disparates et tordues, qui ne cessaient de briller au fil de son voyage, provoqué par l’effort et la faim. A l’aide de ses longs bras noueux, à la solidité du roc, il transportait sur son épaule une charogne, autre forme humanoïde, plus petite, à la peau laiteuse et à la crinière de blé. De son autre poigne, il arborait une massue bardé de pointe, plus proche par sa taille du marteau de guerre, qu’il agitait sans le moindre mal apparent.

Le jotun, bien vite, quitta l’orée. Accélérant le pas, il s’élança, avec sa proie, repas du soir, vers les hauteurs, sinuant le long des arêtes rocheuses. Traçant un véritable sentier au fil de ses enjambés, il fut bien vite hors de vue de la lisière, dissimulé par le roc éventré par le temps et les éléments. S’il s’autorisa enfin une pause, elle fut brève, et ce ne fut pas pour reposer ses muscles. A l’abri entre deux pans de montagne, il sonda un temps le chemin qu’il avait emprunté. Il avait été gourmand, il s’était approché bien trop près des étranges bâtiments en bois. Immobile, se confondant avec la pierre, il n’osa remuer qu’au bout d’une quinzaine de minutes, rassuré de ne voir surgir aucun poursuivant des arbres. Pas qu’il craignait de se battre : le lieu ne s’y prêtait tout simplement pas.

Le colosse quitta son point d’observation. Hissant à nouveau le cadavre de la norne sur ses épaules, s’aidant de sa massue comme d’un bâton, il s’engagea le long d’un étroit sentier, raide, connu de lui seul. Bien que recouvert de neige, son pas assuré n'eut aucun mal à le retrouver, tant il l’avait emprunté. Se penchant de côté par moments, pour s’assurer, il se glissa dans la brume nuageuse bien avant d’arriver à la crête. Toujours grimpant, poursuivie par la nuit, qui, doucement, commençait à étendre ses bras, il arriva à cette dernière lorsque le premier grondement de tonnerre éclata. D’abord hésitant, la vision d’un premier éclair, déchirant le ciel le décida. Il s’engagea sans plus attendre dans un étroit défilé qui descendait le long de l’autre versant, sous les trombes d’eau qui commencèrent à tomber dru. Le printemps était là, cela ne faisait plus aucun doute. Bientôt, la neige finirait par fondre, pour ne laisser plus qu’un immense tas de pierres décharné, où l’espace de quelques mois, une herbe rase viendrait tenter de s’épanouir, avant que le gel ne revienne régner en maître ici. Ainsi était la vie, et, si ici, la verdure saurait trouver son compte, sur les pics alentours, même sous le soleil d’été, la neige saurait perdurer, sans le moindre mal. Une étrange vision, à n’en pas douter, pour un oeil peu habitué, surpris par la chaleur écrasante de l’été, et, si proche pourtant, d’une neige qui n’avait jamais fondu.

C’est poussant la neige sous ses jambes que le jotun commença à dévaler la pente, à un rythme lent, plus prudent que lors de l’ascension. Plusieurs fois, il dû revenir sur ses pas, se retrouvant devant une barre rocheuse, trop haute, trop glissante, pour être franchie avec son macabre paquetage. L’orage se calma rapidement, bref, violent, et la peur de finir foudroyé le quitta. Plusieurs fois, il manqua pour de bon être entraîné par la neige, mais ses réflexes et sa force se révélèrent payants, et c’est seulement avec une main ouverte qu’il quitta l’étroit défilé, et s’engagea enfin parmi les épais arbres. L’espace d’un instant, son regard capta, plus haut, dans la pente, une lueur, avant qu’elle ne disparaisse. Il s’arrêta, et, masqué par la nuit et la forêt environnante, il se mit une nouvelle fois à l’affût. Plusieurs fois, la lumière réapparue, avant de devenir fixe. Une torche, à n’en pas douter. Elle n’empruntait pas le même chemin que lui, dévalant le versant à l’ouest de sa position. Si la prudence lui enjoignait de ne rien tenter, la faim, et la perspective d’un repas de plus, facile, fini par le convaincre.

Son esprit s’activant, il s’élança, oubliant toute prudence, parmi les arbres, à la recherche de l’endroit adéquat. Se faufilant entre les arbres, relativement espacé, il termina sa course près d’un immense conifère. Sans la moindre attention pour elle, il jeta le cadavre de la norne, son premier repas du soir, contre le tronc, et se mit aussitôt à l’ouvrage. Rapidement, il commença à fouiller le sol au niveau des troncs, tirant de la neige, parfois encore dessus, un petit tas de branches. Avec son petit fagot, il revint se placer là où il avait abandonné son appât. D’un mouvement étonnament rapide pour sa carrure et ses mains, il ordonna le bois, le dressant en un petit tas circulaire. Commençant à fouiller la norne, il ne put que se féliciter de sa chance, une nouvelle fois, lorsqu’il découvrit deux silex. Déchirant une partie de la tunique de cette dernière, il la fourra parmi le bois, pas certains qu’il soit sec, et commença à frotter les pierres entre elles. Un fin filet de fumée commença à jaillir de la tunique, mais il s’acharna, continuant de produire des étincelles. La fumée commença à grossir, et une flammèche apparue. Arrêtant son geste, il approcha le groin qui lui servait de nez devant la minuscule source de chaleur. La flamme grossie. D’un rouge ocre, elle commença à lécher le bois, les plus petites brindilles noircissant à vue d’oeil.  Courant le long de l’écorce,  une bouffée de chaleur caressa son visage, alors que le bois prenait, crépitant doucement. Il resta, ainsi, soufflant dessus, immobile, s’assurant que tout était bien en place. D’un mouvement, il prit la peine de tourner la norne, pour masquer la tunique déchirée. L’illusion du sommeil n’était pas bonne, loin de là, bien peu crédible, mais un simple instant d’hésitation lui suffirait. Ramassant sa massue, donnant un coup de pied dans ses traces, et laissant là le corps de sa première victime de la journée près du feu, il quitta le cercle lumineux, se réfugiant dans l’obscurité alentour, aux aguets. Et, dans un silence de plomb, à genoux, la massue à ses côtés, il attendit.

Elle ne fut pas longue. Dans l’obscurité qui régnait, la torche était visible de loin, et le feu encore plus. Trépignant d’impatience, il se força à ne pas bouger, attendant qu’elle se rapproche. Peu à peu, à son regard, soutenu par la torche, la voyageuse apparue. Grande et puissamment bâtie, un casque affichant des énormes bois de cerfs trônait sur son crâne. Bardé des restes d’une vieille armure, le reste du corps couvert par des fourrures brunes, elle avançait d’un pas lourd, sauvage et naturel, entre les arbres. Une épaisse épée pendait à son épaule, et, droite, il la vit s’arrêter, à quelques mètres du camp. Silencieuse, immobile, elle resta ainsi un instant. Elle secoua la tête, et, sûre d’elle, s’engagea dans la lumière.

Le jotun, prédateur, n’attaqua pas. Il attendit son heure. La norne s’approcha du feu, alors même que le colosse, sur son flanc, se dressait doucement dans l’obscurité. Elle ralentit le pas, jusqu’à s’immobiliser. Elle resta ainsi, à l’arrêt, tenant toujours sa torche, haute, l’autre bras le long du corps, silencieuse. Sans prévenir, elle lâcha la torche, en portant sa main vers la garde de son arme. Elle fut trop lente.

Le colosse tapi dans l’ombre surgit en rugissant, son énorme massue à bout de bras. Il frappa, d’un geste terrible, sans prévenir. Un bois de cerf vola, éclatant sous la force du coup, les pointes de l’arme déchirant la joue de sa proie. Sous l’impact, elle tangua, manquant s’effondrer, et, sans le moindre répit, il frappa à nouveau, la cueillant au creux du ventre, tordant le métal, l’enfonçant dans ses chairs, tout en la soulevant de terre, la propulsant en arrière, contre un arbre. Ses cris de rage se mêlèrent à ceux de douleur de sa victime. Elle tenta de se relever en retirant son casque, dévoilant un visage bardé de tatouages, aux boucles rousses, couvert de sang, et, à nouveau, la massue la souleva de terre, se teintant de sang à ses extrémités.

D’une fureur sans nom, l’énorme colosse, ivre de sang, brandissait et abattait son arme, encore et encore, dans un déchaînement de violence gratuite, bref et sanglante, noyant la neige sous des flots pourpres, tordant un peu plus le plastron d’acier à chaque coup.

Il l’attrapa par la gorge, arrachant la plaque d’acier, dévoilant une tunique de fourrure rouge de sang. Il propulsa son poing dans son ventre, et la jeta en arrière, près du feu. Elle s’écrasa face contre terre, et commença aussitôt à ramper, sans plus chercher à dégainer son arme, loin de son assaillant, se traînant, pathétique. Il s’approcha, levant haut sa massue, prêt pour le coup de grâce, la surplombant. Elle plongea l’une de ses mains en hurlant dans le feu, saisissant l’un des morceaux de bois enflammé avec son gant en métal, et se retourna pour le frapper avec son brandon. Pour la première fois, il recula, lorsque les flammes léchèrent sa peau. Tremblante, elle se releva, tirant de sa main libre son espadon. De son gant en métal, une odeur de chair brûlé, de cochon trop cuit s’éleva, emplissant d’air. Elle lui jeta le morceau de bois au visage, reprenant son arme à deux mains. Il écarta la torche improvisée d’un simple mouvement du bras, et, rendu fou par l’odeur, la faim et le sang, il se rua à nouveau vers elle.

En sang, a bout de forces, elle s’effondra à ses pieds, frappant de l’énergie du désespoir. L’espadon rencontra l’avant-bras, tranchant la peau, déchirant la chair, s’arrêtant contre l’os. A son tour, il hurla, reculant, arrachant des mains de la norne, du même coup, la seule arme qu’elle tenait. De sa main libre, il arracha de sa blessure l’espadon, le jetant au loin. La norne n’avait pas bougé, à genoux, au sol. Ce n’était plus un corps, ce n’était qu’un tas de chair, boursouflée, en sang, bien loin de la guerrière qu’elle avait été il y a moins d’une minute. Il se baissa pour ramasser sa massue, la prenant entre ses deux mains. Toujours immobile, elle ferma les yeux, et le fixa. Un éclair de lucidité parcourut le regard du jotun, et, bondissant vers elle, il tenta de lui écraser le crâne, d’un dernier assaut, y lançant toutes ses forces. Elle fit de même.

Là où s’était tenue la norne, une bête se tenait. Une bête énorme, dont la hauteur rivalisait avec celle du jotun. Une bête, une ourse, gigantesque, au poil sombre, dru. Une bête aux pattes énormes, aux griffes démesurées, qui arrêtèrent ses bras. Une bête à la gueule béante, écumante de rage, qu’elle referma sur le cou du colosse, le secouant comme une poupée de chiffon, le propulsant, à son tour, au sol. Une bête qui laissa libre place à sa fureur, déchirant sa chair de ses crocs, arrachant son corps de ses griffes, broyant ses os de sa force. Le chasseur devint la proie, et la proie le bourreau, dans un déchaînement de rage terrible, dans une sauvagerie sans nom, qui n’avait comme limite que le néant, ravageant, détruisant, tout ce qui aurait pu être reconnu, s’acharnant, bien après la mort du colosse.


La norne s’effondra dans le tas sanguinolent. Prise de haut-le-coeur, elle vida son estomac, cherchant à se relever, sans y parvenir. Roulant de côté, elle termina sa course contre le feu, entre l’énorme carcasse du jotun, et le cadavre de l’autre norne. Son sang lui masquait une partie du visage, maintenant son oeil gauche fermé. Elle sentait sa main calcinée dans son gant chauffé à blanc, son sang ruisselant sous elle. Son espadon reposait à quelques mètres d’elle, et une seule idée s’imposa à son esprit. Survivre. Un mot simple, mais souvent si difficile à suivre dans les cimes.

Elle tendit la main vers l’arme, découvrant une nouvelle blessure, une plaie béante, sur son avant-bras, dévoilant son os. Elle retomba face contre terre, et ne bougea plus.
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